AGRICULTURE – Bilan des Rencontres de Morlaix
Entre inventaire lucide, dialogue renoué et espérance en l’avenir.
Après un réveil tonique orchestré par Jean-Paul Vermot, maire de Morlaix, Valérie Tabart a pu rappeler aux quelques 150 participants que nous avions imaginé cette journée lors d’un travail collectif l’été dernier. Nous n’avions pas cerné alors les contours d’une énième crise agricole, laquelle a surgi au début de cette année 2024, marquée à la fois par une très faible capacité à faire dialoguer entre eux tous les acteurs de la société rurale et agricole, et par des réponses nationales en forme de retour en arrière sur les enjeux environnementaux. C’est dans ce contexte qu’Aziliz Gouez a pu faire le lien avec le débat régional, pour illustrer notre conviction qu’une autonomie régionale permettrait de mener des politiques agricoles plus ajustées aux réalités bretonnes et par-là bien plus efficaces.
C’est donc à Morlaix, lieu de contestations des agriculteurs du Léon, que nous avons choisi de renouer les fils de ce dialogue, en faisant en sorte de mettre autour de la table les agriculteurs dans leur diversité, les élus locaux impliqués dans cette question cruciale, les militants écologistes, politiques et associatifs, mais aussi c’est essentiel, des scientifiques de tous horizons, climatologue, agronome, géographe ou sociologue.
Sur cette base, le débat animé par Aziliz Gouez et Valérie Tabart a débuté par l’exercice d’un « droit d’inventaire » de la période, un inventaire à charge et à décharge. Il est essentiel de faire le bilan complet d’un modèle qui a permis un développement sans précédent de la Bretagne, et on peut difficilement oublier l’émotion d’Henri Billon, actuel président de la communauté de communes du pays de Landivisiau et agriculteur, quand il évoque comment cette dynamique agricole l’a littéralement « sorti de la misère ».
Mais cette action collective s’est accompagnée de « dommages collatéraux » humains, comme l’a rappelé un membre de l’assistance, de pollutions des sols, de l’eau, de l’air. Petit à petit aussi, un contre-modèle, une contre-culture s’est aussi développée, et a prolongé ce puissant esprit coopératif si présent dans la société rurale bretonne, au point d’en être resté un ferment.
C’est au fond cette capacité de coopération que donne à voir Véronique Lucas, sociologue à l’INRAE de Rennes. Elle en détaille les grands traits, la mécanique, et cela nous redit que cette créativité bretonne peut à nouveau être mobilisée pour reterritorialiser les coopérations entre paysans d’une part, avec à l’échelle d’un Pays Breton, d’un bassin agricole, ou même d’un voisinage, dès lors que l’une des clés de voûte d’un nouveau modèle breton reste ou redevient la polyculture-élevage et que l’on s’éloigne d’une trop forte spécialisation agricole des territoires bretons. Cet esprit de coopération peut aussi renouveler les relations entre agriculteurs, transformateurs, distributeurs. Enfin et surtout, il induit une autre relation, une véritable articulation entre les territoires ruraux et notre tissu urbain.
La suite des discussions a évidemment fait apparaître des désaccords : il était illusoire de penser que d’emblée le président de la chambre d’agriculture de Bretagne, le président de l’ABEA (l’association des entreprises agro-alimentaires), le représentant d’Eaux et Rivières de Bretagne et 2 élues régionales écologistes et fédéralistes allaient présenter une même vision du monde. Bien situer les désaccords, bien entendre les nuances introduites par chacun, tout cela nous aidera demain à proposer un récit sinon commun mais au moins crédible aux yeux de toutes et tous.
Car comme l’a rappelé un intervenant de la salle, personne ne s’est abrité derrière une expression valise qui clôt les débats. L’exemple saisissant de l’injonction « La Bretagne doit nourrir le monde » a été battu en brèche à de multiples reprises. D’emblée, le géographe Yvon Le Caro a rappelé l’évidence que c’est la planète qui doit nourrir la planète. D’autres ont rappelé la capacité à produire de l’agriculture bretonne, sans doute pas totalement selon les mêmes objectifs, entre Jean-Marc Thomas (Confédération Paysanne) et Rémi Cristoforetti (ABEA), mais cette question est majeure pour déterminer une trajectoire commune. Aziliz Gouez a quant à elle rappelé l’articulation de cette trajectoire avec les ambitions nationales et européennes, dans le récit actuel de souveraineté alimentaire, rejoint par Ludovic Massard de la Coopérative Biolait qui appelle à réfléchir à la contribution bretonne à apporter en France, en Europe et de ne pas produire pour des peuples “qui ne nous ont rien demandé”.
Bref, nous sommes entrés de plain-pied dans une discussion passionnante, où chacun a eu envie de dire sa part de vérité, des effets sur la vie de la société rurale bretonne aux questions centrales du foncier agricole par exemple. Ces envies n’ont bien sûr pas pu être toutes assouvies lors de cette unique journée, mais ce n’est que le début d’une réflexion collective amenée à se prolonger rapidement.
L’ultime table ronde a permis d’interpeller les élus de toutes les strates, du bloc communal à nos trois parlements : Sébastien Miossec (maire et président de Quimperlé Communauté), Arnaud Lécuyer (Vice-président agriculture de la Région Bretagne), Sandrine Le Feur (députée de la majorité), Daniel Salmon (sénateur écologiste) et Lydie Massard (députée européenne fédéraliste) ont d’abord réagi à quatre témoignages inspirants d’initiatives locales originales. Puis ils ont prolongé le fil du débat du jour. Là encore, il s’agissait de confronter des points de vue très différents, avec néanmoins en partage l’idée de renforcer l’action locale, quelle qu’en soit la modalité.
Plus qu’un consensus mou, cette dernière table ronde a fait apparaître une cartographie des grilles de lecture des uns et des autres. Valérie Tabart a défendu la belle idée de radicalité, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire l’idée d’un changement profond à la « racine » des problèmes à traiter.
La conclusion très provisoire du président d’Ensemble sur Nos Territoires, le sénateur breton de Loire-Atlantique Ronan Dantec nous invitait à la poursuite de ces débats à l’automne avec à l’esprit la recherche d’un narratif puissant qui permette de sortir des oppositions stériles et discuter « des sujets qui fâchent mais qui n’ont fâché personne », tant chacun a écouté l’autre pendant toute cette belle journée.